Superbe article du journal Le Soir d'aujourd'hui

L'hyperstar Johnny



FABIENNE BRADFER
mardi 19 mai 2009, 09:05 A
Cannes pour présenter son nouveau film "Vengeance". Chez nous à partir
de ce soir pour sa dernière tournée de concerts. Johnny Hallyday est
sur tous les fronts.

'ai traîné toute ma vie le manque
d'un père. Il a vécu sa vie, je vis la mienne. Je ne juge pas. Mais
j'ai grandi avec cette solitude. » Par ces mots lâchés à Cannes
hier, Johnny Hallyday traduit ce qui s'échappe le plus souvent de lui
devant une caméra : une solitude, une mélancolie, une souffrance.
Johnny au cinéma, c'est de l'instinct, des blessures, un vécu
tourmenté. C'est un loup blanc habillé de noir, mystérieux, taiseux,
mélancolique, solitaire et en même temps aventureux.Dans Les rivières pourpres 2,
Olivier Dahan lui avait donné le rôle de l'ermite… Symbolique.
D'ailleurs, des réalisateurs aussi différents que Lætitia Masson (Love me), Jean-Luc Godard (Détective), Patrice Leconte (L'homme du train), Laurent Tuel (Jean-Philippe) et aujourd'hui Johnnie To (Vengeance) ont exploité cette dimension intime.Bien
sûr, avant d'en arriver à ces univers-là, à ces auteurs-là, avant de
toucher à la chair cinématographique essentielle à ses yeux, Johnny
s'est donné entièrement à la musique, créant une imagerie, imposant un
style, s'engendrant star. De temps à autre, « l'idole des jeunes » a
joué la comédie, s'appuyant sur son statut de chanteur (D'où viens-tu Johnny ?, Cherchez l'idole, Paparazzi). Il a dérivé dans des nanars (Terminus, Le spécialiste, L'animal).
Mais dans son fort intérieur, il y avait cette envie, ce goût, ce
quelque chose de cinéma. Et pas n'importe lequel. Le ciné de genre,
comme celui que faisait Melville (Johnny a d'ailleurs failli jouer dans
Le cercle rouge), que faisait Elia Kazan. D'ailleurs, cette
influence-là pouvait déjà se lire dans son apparence dès ses débuts de
chanteur. On le sentait bien en affinité avec le Marlon Brando de L'équipée sauvage ou avec un James Dean rebelle.Johnny et le cinéma, ce n'est donc pas une histoire d'aujourd'hui. Quand il lance à Cannes : « J'arrête la scène pour le cinéma », il faut nuancer les choses et remettre le tout en perspective.Déjà
gamin, Jean-Philippe Smet se rêvait acteur. Et quand Clouzot le prend
pour être l'un des marmots de l'institution Delasalle des Diaboliques
dont l'institutrice est Simone Signoret, il dévore du regard tout ce
qui se passe sur le plateau. On est en 1954, Johnny a 11 ans. Un peu
plus tard, il prendra des cours d'art dramatique. L'envie est là,
chevillée au corps, à l'âme, à l'envie de reconnaissance dans les yeux
d'un père trop absent. Mais la musique s'emballe et l'embarque dans une
direction autre. Elle va lui permettre de créer un personnage : un dieu
inaccessible et tout-puissant. Mais cette rock'n'roll attitude n'est
pas une fin en soi. Le cinéma est vital pour Johnny car c'est lui qui
va lui permettre de revenir à sa dimension humaine et de révéler une
sensibilité d'homme comme le montre bien Lætitia Masson dans Love me
en en faisant un chanteur usé, désespéré. A ce niveau-là, qu'importe
l'avis des fans. Johnny rejoint un rêve de gamin, un besoin d'enfance.
Son père était professeur d'art dramatique.Pour situer
précisément le moment où son rapport au cinéma devient consistant, on
cite en toute logique Godard qui lui offre en 1985 le rôle de Jim Fox
Warner, organisateur de combat de boxe aux prises avec la mafia, dans Détective. « La prouesse du cinéma, c'est de faire passer ses émotions à une caméra qui les transmet au public
», a-t-il dit cette année à Cannes. Chez Johnny, cela se fait en mode
mineur. Avec peu de mots, peu de gestes. Avec une silhouette à la Clint
Eastwood (l'inpecteur Harry lui servira de modèle pour la série télé David Lansky)
et une gueule d'atmosphère. Car oui, Johnny a une gueule de cinéma. Une
gueule qui, à elle seule, raconte déjà toute une histoire. C'est sans
aucun doute pourquoi après Godard, d'autres réalisateurs, de Costa
Gavras (Conseil de famille) à Hervé Palud (La gamine), vont le diriger.C'est aussi ça que Johnnie To est allé chercher en Johnny pour Vengeance : une présence, un visage, des yeux incroyables. Le tout chargé d'un passé qu'on imagine intense.A
côté de ces aspérités physiques donnant une profondeur rugueuse à ses
personnages, Johnny a aussi la capacité de s'amuser avec son image, de
se moquer de lui-même, de prendre la bonne distance. Indispensable pour
s'accomplir dans cette autre dimension qu'est le 7e art. De L'homme du train à Jean-Philippe, on le constate. Oui, Johnny H. a de l'humour. Et il en joue en toute connaissance de cause. Quand il lâche à propos de Vengeance : « Je n'avais pas beaucoup de dialogues à apprendre. Cela m'allait très bien », cela le fait rire.Nous aussi. On sait aussi que ses silences sont plus habités qu'une simple réplique. Et ça, c'est totalement cinématographique.

merci Shane

Merci pour ce bel article.